Est né sur Sihnon, il y a plus de trente ans de cela, le petit Donnie Lou Morlang de son nom complet. Son père fût alors le plus heureux des hommes. Sa mère nettement moins. C'est pour cela qu'elle partit en laissant le bambin mais sans laisser d'adresse.
Le petit Donnie ne connu jamais sa mère et n'en sait que ce que son père lui en a raconté : rencontrés par hasard, les deux jeunes gens étaient tout de suite tombés amoureux l'un de l'autre. Un vrai coup de foudre. Ils se fréquentèrent en secret et contre l'avis des parents de la demoiselle, bien trop conservateurs, qui espéraient caser leur fille avec un gentleman fortuné. Puis la jeune femme tomba enceinte. Ses parents l'apprirent et elle ne pu garder le bébé qu'à la seule condition de rompre ensuite avec son amant. Une fois Donnie venu au monde, la jeune mère, couverte de honte par ses parents, confia l'enfant à son bien-aimé avant de le quitter pour disparaitre dans le Verse. Ni Donnie ni son père ne seraient amenés à revoir la dame.
Voilà en substance ce que le père avait raconté à son fils. Sans omettre la description de la demoiselle bien entendu : une magnifique jeune femme aux cheveux d'ébène et à la peau sucrée, dont les yeux brillaient mille fois plus que le Soleil Blanc, etc...
Des mensonges, évidemment.
En réalité -et Donnie ne le saura jamais-, sa mère était une prostituée dont Monsieur Morlang s'était amouraché et qu'il avait fini, par le fruit d'une erreur, à mettre en cloque. Il n'avait pu garder le bébé qu'en échange d'une conséquente somme d'argent, environ deux fois son salaire annuel de petit bureaucrate de Sihnon. Pas folle la fille ! Elle devait sans doute roucouler sous le soleil d'une planète tranquille désormais, à moins qu'elle n'ait continué ses activités ailleurs après avoir payé quelques dettes.
Quoi qu'il en soit, la belle histoire enjolivée imaginée par son paternel marqua beaucoup le petit Donnie, qui fit de la recherche de sa mère l'un des buts de sa vie.
L'Enfant du Verse, comme il se surnommera lui-même plus tard, grandit seul dans un quartier populaire de Sihnon, élevé par son père et bercé par les croyances Bouddhistes de ses grands-parents.
A l'école, Donnie fût un élève moyen qui révéla surtout une aptitude pour les langues. Plutôt solitaire, Donnie détesta toutes ses années de scolarité sans exception. Ce fût seulement lorsqu'il se mit à suivre une formation en mécanique, dans un entrepôt de démantèlement d'engins en tout genre de son quartier, qu'il commença à apprécier l'apprentissage. Il faut dire que, enfant, Donnie était un garçon plutôt timide et solitaire, renfermé sur lui-même. Sa surdité partielle joua pour beaucoup. Ses camarades se moquaient de lui ; ils l’appelaient souvent "Connie" à cause de ses cheveux toujours un peu longs qui le faisaient ressembler à une fille (et peut-être aussi à cause de son deuxième prénom féminin). Donnie se sentait très mal, avait presque peur de se rendre en cours et ne pouvait retenir ses larmes à la moindre remarque.
Son père ne voyait pas les problèmes de son fils qui souriait tout le temps à la maison en disant que ça allait. Et, trop timide pour en parler, Donnie continua à se faire maltraiter par ses camarades de classes. Il avait tout de même quelques bons amis avec qui jouer en dehors de l'école, mais même eux ne lui apprirent ni à se défendre, ni à se forger une carapace.
Plus tard, Donnie fit quelques pas en dehors de sa coquille, plus par nécessité que par envie. En devenant transporteur, le jeune homme côtoya tout un tas de personnes plus ou moins sympathiques avec qui il était bien obligé d'interagir.
Ce n'était pas son premier choix de métier puisqu'il avait envisagé un temps de reprendre l'affaire de son patron à l'entrepôt de démantèlement. Mais comme finalement ledit patron confia les clefs à un autre, Donnie trouva une nouvelle voie. Suivre les traces de son père et entrer dans l'administration ne lui disait rien. Les navettes et autres vaisseaux par contre, c'était son dada ! Il avait visité au moins trois fois le musée sur Bernadette avec le seul vaisseaux des premiers colons conservé. L'engin le fascinait et il serait devenu ingénieur s'il avait pu. Mais il ne pouvait pas. Alors il envisagea de devenir constructeur de vaisseaux ! Mais son handicap auditif le laissa devant la porte close des usines de construction. Alors... alors Donnie désespéra, passa plusieurs mois au crochet de son père à dessiner des plans et construire des maquettes d'engins qu'il ne toucherait jamais. Puis il en eut marre et décida de devenir transporteur. Un de ses amis lui avait dit que ça ne payait pas trop mal -puisque tu fixais toi-même les tarifs- et qu'il y avait toujours du travail si l'on savait où se poser. C'était donc décidé : Donnie allait passer sa vie à bord d'un vaisseau, à mener des inconnus d'un point A à un point B.
Il avait appris à piloter dès sa majorité et, s'il était loin de pouvoir gagner une course aux
Hammer Games, il s'en sortait plutôt bien. Pas suffisamment pour éviter un accrochage avec un gros débris six mois plus tard, mais "avec le temps vient l'expérience" comme le lui avait souvent répété son grand-père.
Pour se payer un vaisseau de transport, le jeune homme travailla comme commis de cuisine pendant six ans, économisant tout ce qu'il put et empruntant le reste à son père. Il dénicha un bon engin qu'il répara en partie et nomma
Le Papegoja -"perroquet" en vieux terrien. Le vaisseau de transport pouvait accueillir jusqu'à cinq passagers, couchettes incluses et Donnie fut tout content de décorer ces-dernières. De les décorer dans un style bien à lui et qui donnait presque tout son sens au nom du vaisseau.
Son père était très fier et lui donna un coup de pouce pour obtenir les divers laissez-passers nécessaires à son activité de transporteur.
Et ainsi partit à travers le Verse le jeune Morlang. Son business démarra doucement mais, en bon observateur qu'il était, Donnie trouva des "coins à clients" comme il les appelait et se fit plusieurs contactes utiles. Il rencontra même une fille -ou deux- qui devint la femme de sa vie. En tout cas c'est ce qu'il aimait dire et répéter, bien que ne voyant que très rarement la demoiselle en question. Mais il était persuadé qu'elle l'aimait et qu'ils se marieraient un jour.
En bon voyageur, Donnie ne restait jamais très longtemps à terre et au même endroit. Non, son vaisseau était sa maison et une maison qui parcourait des distances inimaginables jusqu'à revenir deux fois par an voir son père et sa grand-mère sur Sihnon (son grand-père étant maintenant décédé). Le temps de prendre un bon repas en s'échangeant des nouvelles. Puis Donnie repartait, avec cette idée dans un coin de la tête qu'il retrouverait un jour sa mère. Lui qui était, en attendant, un enfant du Verse.